Discours

Réglementation financière : une perspective française

2 Novembre 2022
François Villeroy de Galhau intervention

Financial System Conference – Dublin, 2 novembre 2022

Réglementation financière : une perspective française

Discours de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureux d’être ici à Dublin et je voudrais remercier chaleureusement le gouverneur Gabriel Makhlouf de m’avoir invité à m’exprimer aujourd’hui à l’occasion de cette conférence sur les services financiers. J’avais déjà eu le plaisir de venir ici il y a quatre ans pour parler de la mondialisation financière, et plus spécifiquement des déséquilibres de comptes courants et des vulnérabilités financières qui en résultent. Ces thèmes ont été relégués au second plan depuis quelque temps, du fait de la succession sans précédent de chocs et de crises. Mais les préoccupations de stabilité financière reviennent de toute évidence au premier plan en cette période de turbulences, qui met à l’épreuve les réformes entreprises au cours de la dernière décennie, mais qui révèle aussi de nouvelles poches de tensions financières. Dans ce contexte, je souhaiterais d’abord ouvrir la réflexion concernant la fin possible d’une décennie favorable pour la réglementation financière et la stabilité financière (I). Je parlerai ensuite plus en détail du secteur immobilier – sujet pour le moins sensible ici en Irlande – comme étude de cas pratique des progrès que notre panoplie d’outils réglementaires et macroprudentiels nous permet d’accomplir (II).

I. La fin d’une décennie favorable pour la réglementation financière et la stabilité financière ?

a. Réglementation financière

Quinze années se sont écoulées depuis les débuts de la Grande crise financière – inutile de rappeler les dommages sociaux, économiques et financiers qu’elle a causés. Mais les leçons en ont été tirées. Une ère favorable s’est ensuite ouverte pour la réglementation financière, sous l’impulsion d’une coopération internationale ravivée au plus haut niveau, avec d’importants sommets du G20 en 2009 et en 2010 – laboratoire politique des réformes financières suivantes.

Plusieurs mesures concrètes ont ainsi été prises pour renforcer le cadre réglementaire existant pour les institutions financières, mais également pour placer sous surveillance prudentielle des compartiments, activités et acteurs non régulés – tels que les marchés de gré à gré, les agences de notation et les hedge funds. Des progrès significatifs ont été accomplis sur ces fronts ; même s’il subsiste encore des marges de progression, notamment pour une meilleure réglementation de l’intermédiation financière non bancaire (IFNB) – je reviendrai plus tard sur ce point.

Dans le secteur bancaire, les améliorations du cadre réglementaire sont plus qu’évidentes. Les accords de Bâle 3, finalisés en 2017, exigent des banques la constitution de coussins plus importants et plus solides, et renforcent la discipline de marché. En Europe, comme vous le savez bien, la Grande crise financière a été suivie de près par une crise de la dette publique résultant du lien entre banques et émetteurs souverains. En réponse, la zone euro a forgé l’Union bancaire. Dans l’ensemble, le secteur bancaire européen est devenu beaucoup plus résilient. Les exigences ont également été accrues dans le secteur de l’assurance, avec l’entrée en vigueur en 2016 du nouveau cadre réglementaire Solvabilité 2, qui fait actuellement l’objet d’une révision.

À partir du milieu des années 2010, pour être à la hauteur des deux transformations structurelles – écologique et numérique –, l’Europe a été pionnière en adaptant son cadre réglementaire. Tout d’abord, l’Europe a élaboré un corpus cohérent de réglementations concernant la diffusion d’informations extra-financières (taxonomie, SFDR, CSDR) afin de traiter les risques liés au climat. Nous avons également contribué en tant que banque centrale, en menant un test de résistance climatique pilote – suivi récemment d’un exercice conduit par la BCE qui s’est achevé cet été. Dans le même temps, l’Europe s’adapte également aux défis liés à la révolution numérique via un cadre dédié : l’objectif est, premièrement, de renforcer les exigences relatives à la sécurité informatique pour l’ensemble du secteur financier (DORA) et, deuxièmement, de mettre en place une réglementation européenne harmonisée pour les émetteurs de crypto-actifs et les fournisseurs de services dans ce domaine (MICA).

J’entends cependant régulièrement le secteur bancaire se plaindre que la réglementation prudentielle est aujourd’hui excessive, et qu’elle représente une charge trop lourde. Laissez-moi vous expliquer pourquoi ces affirmations semblent infondées. Au cours des dix dernières années, le cadre réglementaire n’a en rien entravé le bon financement de l’économie européenne : en France, par exemple, la distribution de prêts aux ménages et aux entreprises par les banques françaises s’est même accrue ; depuis fin 2010, l’encours de crédit a augmenté presque trois fois plus vite que le PIB (57 % contre 21 %).

À mesure que le temps passe, nous devons faire attention de ne pas succomber à la « tentation d’oublier ». Ce phénomène très spécifique a un surnom en théorie économique : on parle de « myopie au désastre ». Éviter ceci implique aujourd’hui une obligation claire : nous devons mettre en œuvre l’accord de Bâle 3. J’ai eu le privilège de présider le GHOS (Group of Central Bank Governors and Heads of Supervision) jusqu’au début de cette année, et je veux ici répéter son appel à une « mise en œuvre intégrale et cohérente ». Pour l’Europe, ceci veut dire adopter aussi vite que possible, en trilogue avec le Conseil et le Parlement européen, une position aussi proche que possible de la proposition de la Commission : les mesures de transition prévues – notamment sur le crédit immobilier – ne doivent pas devenir des exceptions permanentes ; les exigences en capital doivent s’appliquer au niveau des groupes consolidés, sans nouvel obstacle interne à l’Union bancaire. Et toutes les juridictions – y compris d’ailleurs le Royaume-Uni où les régulateurs s’opposent à juste titre à la tentation d’un nivellement par le bas – doivent appliquer effectivement ces accords au plus tard au 1er janvier 2025 – dans juste un peu plus de deux ans.

 

b. Stabilité financière

La réglementation financière n’est pas une fin en soi ; c’est « seulement » un moyen d’atteindre l’objectif fondamental de stabilité financière. La réglementation mise en place au cours des quinze dernières années s’est avérée plutôt efficace jusqu’à présent : nous avons surmonté avec succès le « stress test » de la crise Covid ; ce n’est pas une coïncidence qu’elle n’ait pas dégénéré en crise financière. Les exigences en capital ont considérablement renforcé la résilience du secteur bancaire : le ratio CET1 des six principaux groupes bancaires français a augmenté continuellement, passant de 5,8 % en 2008 à 15,7 % en 2021 [la première légère baisse ayant été observée en juin 2022, à 14,8 %]. Cette fois, les banques, qui auparavant faisaient partie du problème, font désormais partie de la solution : elles ont fourni le bouclier vital de liquidités dont les entreprises ont eu besoin durant la phase aiguë de la crise.